Inauguration de l’ancienne gare de déportation de Bobigny

21 mai 2023

Le mémorial de l’Ancienne Gare de la Déportation de Bobigny a été inauguré le mardi 18 Juillet 2023, 80 ans jour, pour jour, après le départ du premier convoi à destination d’Auschwitz – Birkenau.
La cérémonie s’est déroulée en présence de Madame Patricia Mirales, Secrétaire d’État chargée des Anciens combattants et de la Mémoire, de Monsieur Jean-Claude Farandou, président de la SNCF, de Monsieur Serge Klarsfeld président de «Fils et filles de déportés juifs de France», et de Monsieur Abdel Sadi, maire de Bobigny.
Des interludes musicaux d’Hélios Azoulay accompagné par l’Ensemble de Musique Incidentale ont ponctués la commémoration, ainsi que la lecture du « Poème en prose » de Benjamin Fondane par Thierry Lhermitte.
Notre association était représentée par Christophe Kukawka, Alexis Halpérin accompagnés de plusieurs membres, dont j’avais l’honneur de faire partie.
Le site est connu de notre association, nous y commémorons chaque année le 15 mai le départ du Convoi 73. En y arrivant pour la cérémonie, je me demandais comment il avait fallu attendre 80 ans pour que ce site soit enfin préservé.
À partir de juillet 1943 et jusqu’en août 1944, succédant à celle du Bourget, la gare de Bobigny fut le lieu de départ de 22 500 hommes, femmes et enfants, soit près d’un tiers des Juifs déportés de France. Tous les convois ont été dirigés vers Auschwitz-Birkenau, sauf le convoi n° 73, composé de 878 hommes, qui a pris la direction des pays baltes et le dernier convoi parti le 17 Août 1944 et dirigé vers Buchenwald.
Des plaques commémoratives furent apposées dans l’immédiat de l’après-guerre. Pourtant, ce site témoin de la déportation est ensuite resté dans l’oubli. Il fut redécouvert comme lieu de mémoire alors qu’un des bâtiments qui le compose était menacé de démolition, démolition évitée de justesse en 1987 grâce
à l’intervention de Georges Valbon, maire de Bobigny et de l’AFMA (Association Fonds Mémoire d’Auschwitz). Ce fut le début d’un long processus, dans lequel notre association a été active qui a conduit en 2005 à la reconnaissance de ce site en tant que monument historique.
En 2015, Jean-Marc Todeschini, secrétaire d’État auprès du ministre de la Défense, chargé des Anciens combattants et de la Mémoire, signait avec la Ville de Bobigny, une convention de partenariat financier pour le réaménagement paysager et scénographique du site afin d’en faire un lieu de transmission de la Mémoire et de l’Histoire de la déportation des juifs de France durant la Seconde Guerre Mondiale.
Aujourd’hui, le site est un mémorial.
L’arrivée se fait sur une esplanade qui surplombe la cour, à laquelle le visiteur accède par paliers, en suivant l’espace aménagé d’éléments gravés de témoignages des déportés, puis en passant devant le bâtiment des voyageurs.
La cour, les pavés, ceux-là qu’ont foulé les déportés.
La cour, les rails, sur lesquels ont roulé les wagons plombés.
D’un côté, 75 stèles en acier, alignées en mémoire des 75 convois de déportation partis de France.
Plus loin, la halle aux marchandises devant laquelle les déportés embarquaient.
En face, un mur longe la voie ferrée, il est gravé d’une citation de Paul Eluard : « Si l’écho de leur voix faiblit, nous périrons. »
C’est devant ce mur qu’a lieu la cérémonie d’inauguration et le dépôt des gerbes.
Pendant les discours officiels, un train passe sur la voie ferrée voisine. Ce bruit cadencé des roues du train sur les rails est sans doute similaire à celui que les déportés ont entendus au long de leur trajet vers les camps.
Helios Azoulay et l’orchestre interprètent le chant yiddish «Zognitkeynmol»: Zognitkeynmol,azdugeystdem letstn veg, ven himlen blayene farshteln bloye teg ; kumen vet nokh undzer oysgebenkte sho, s’vet a poyk ton undzer trot : mir zaynen do !
(Ne dis jamais que tu marches ton dernier chemin, même si des cieux noirs cachent les jours bleus, notre heure tant espérée viendra, notre pas résonnera, nous sommes là !)
Ginette Kolinka témoigne. C’est lui exprimer mon plus profond respect que d’écrire combien sa malice et son humilité rayonnent sur son visage.
Henri Zajdenwergier prend la parole. Il évoque le moment du départ dans le wagon plombé. Il parle de mon grand-père, comme il m’en parle à chaque fois que je le vois : « Votre grand-père Roland Dalem, il était grand, il avait de la stature, il restait maître de lui. Dans le wagon, c’est comme s’il avait un ascendant, il organisait, il rassurait, il aidait. »
Puis, Henri retrace une partie de l’histoire du convoi avant de s’interrompre pour s’interroger : « Nous étions 878 au départ, 22 sont revenus, maintenant je suis le dernier, pourquoi moi ? » Et l’émotion le gagne.
Alors, les applaudissements accompagnent ses sanglots… car les pleurs disent plus que les mots.
Puissent la préservation et l’aménagement pédagogique de l’ancienne gare de déportation de Bobigny contribuer à l’enseignement et à la mémoire de la Shoah.
Photos et texte Laurence Dalem